Nuages (2)

LES NUAGES

 » L’amour illumina le nuage qui était entre l’Ami et l’Aimé et le fit aussi lumineux et resplendissant que la lune dans la nuit, l’étoile dans le matin, le soleil dans le jour et l’entendement dans la volonté. Et par ce nuage si lumineux l’Ami et l’Aimé se parlaient.  » Raymond Lulle.  » Le Livre de l’Ami et de l’Aimé.  »

1) Un jour, alors que j’étais assis à ma table, devant une feuille vierge, je vis de ma fenêtre une bande de nuages pousser leurs corps à la fois massifs et impondérables vers… je ne savais quoi : une absence ? le Grand Vide qui ceinture le monde ?« Quelle grâce, me dis-je, quelle magnificence il y a dans cette lente ruée oblique… Comme je voudrais que les mots, ou que les désirs qui sous-tendent les mots, affluent en moi avec la même force sereine. Oui, comme je voudrais qu’en moi, l’esprit soit dégagé suffisamment pour que les mots-nuages, les désirs-nuages, y passent ainsi suspendus… « 

2) Une autre fois, je vis défiler dans le ciel une flotille de petits nuages compacts et légers comme des balles. Un lent mouvement irréversible pareil, dans sa continuité inflexible, à quelque loi d’amour secrète, animait la course de ces êtres aériens.« Où vont-ils donc ? pensais-je, vers quels cieux plus ténus encore que ce ciel de printemps au-dessus de Paris voguent-ils ? Et dans quel but ? Pour quelles réjouissances, quelles noces plus hautes avec l’air ? Ou peut-être s’acheminent-ils, drapés de cette sérénité immuable, vers leur extinction prochaine, au bord d’un horizon inconnu ? Quel bruit de soie inaudible à nos oreilles grossières, mais vibrant délicatement dans celles, infiniment plus subtiles, des dieux, doit être produit par la dissipation d’un nuage dans les cieux… »

3) Couché sur ma moquette, j’observais la dilatation des nuages au ciel. »Une fumée, méditais-je, mais dégagée par quel feu obscur, innommé ? Un feu d’une subtilité inouïe, qui engendrerait ces grandes ailes fascinées, dérivant dans la lumière du soir ? … Et si ces ailes, si ces voiles parfois incandescentes sont les témoins d’une aurore qui les fonde, de quelles promesses de futurs éblouissements ne sont-elles pas elles-même porteuses ? … Nuages, nuages, vous êtes le passage, le pont énigmatique et visible reliant deux absences fulgurantes… » (Inédit)

Le nuage sur la montagne : comme il est beau dans sa simplicité Il est là pour toi seul Pour aucun autre, il ne se déploie avec autant de limpidité

« Montagne et brume » avril 2000
aquarelle – 31 x 24 cm

Il est l’ange enfin visible issu de la roche-mère et dans sa robe de vapeur il danse légèrement au-dessus de son berceau Il est semblable à un œil sans paupières, infatigablement ouvert sur le monde (cette attention sans failles, c’est ce qui le distingue) et sur toi, toi, dont il est le répondant Comment as-tu pu ne pas le reconnaître plus tôt ? Lui dont la grâce exquise est le signe de ta singularité

Les nuages sont des anges échappés de la confusion opaque d’un monde où tout est enchaîné par une loi absurde, une loi de pauvreté, où chaque être est contraint au repliement de ses ailes de lumière Dans leur simplicité qui n’a d ‘égal que leur éclat, ils fluent hors du brouillard mortel de cette atonie et se répandent en dansant, comme des enfants, sur la grande plage du ciel, parmi les cerf-volants de la joie, là où tout est immédiatement manifesté

(la vie terrestre, elle, se déroule dans l’interminable supplice d’une médiation étrangleuse : ainsi un fleuve qui, pour rejoindre la mer, est obligé de se diviser sans fin dans les couloirs mortels d’un estuaire Ou encore : l’amour d’un être humain pour un autre est contraint d’emprunter les détours épuisants et dissipateurs du temps et de l’espace…)

Au plus profond de toi, tu es nuage, ange, éclat de simplicité, et rien de ce que tu fais ou dis ne se perd, car l’essence de l’ange est de perdurer, dans le jeu incessant de ses métamorphoses.

(L’Aile pourpre, p.45-46)

De grands nuages immobiles pendent à la lampe du ciel comme des papillons figés dans l’attente de se consumer.

Les ombres des nuages vont et viennent sur la plage lumineuse dont ils effleurent mélodieusement la peau tendue, marquée de taches éparses : amas de goémons, petits rochers, monticules de sable… Comme je voudrais pouvoir, moi aussi, circuler ainsi, sans que mes pas ne pèsent, présence légère, tout en étant sensible aux moindres aspérités, aux moindres tourments de la chair du monde, afin de les transmuer en hymnes, en chants de joie, par le passage sur eux de mille mains suaves

(textes inédits)

encre/aquarelle – 48 x 33 cm

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