Archive pour la catégorie ‘Archives’

Nicolas Dieterlé, artiste et poète : conférence d’A.Kassis et Th. Ducret

dimanche 9 octobre 2011

NICOLAS DIETERLE : ARTISTE et POETE
Récits d’une vie et expressions poétiques

Annpôl Kassis et Thérésa Ducret
(conférence donnée le 24 octobre 2007 au
Cercle artistique de la MGEN)

« Aujourd’hui, chrysalide. Demain, papillon.
C’est ce qu’il faudrait se dire chaque jour. Nous ne cessons jamais de naître à nous-mêmes
 »
(5 décembre 1994)
in La Pierre et l’Oiseau, Journal spirituel, 2002, Labor et Fides, p.27

Cette phrase, à double composante et à double sens, est l’essence même de la personnalité que laisse entrevoir l’œuvre poétique et graphique de Nicolas Dieterlé ; en l’écoutant, la disant, la répétant, je ressens à chaque fois la même émotion car tout y est : la difficulté à vivre, à naître à soi-même hors tout regard ; l’emploi et la re-création de superbes images voire de métaphores, le contact quasi charnel avec toutes formes de vie dans la nature. Ses formes poétiques, sa rencontre intime avec le mot, avec l’écrit, sont une seconde respiration, un souffle de vie, un souffle vital, envers et contre tout.
Pour mieux saisir Nicolas Dieterlé il me faut le présenter : dans sa vie, ses choix, son oeuvre.

Une enfance en Afrique
Nicolas Dieterlé est né le 28 août 1963. Il est le second d’une fratrie de 4 et compte trois sœurs. En 1965, il a à peine deux ans, Son père, chirurgien, dans le cadre d’une mission protestante, emmène sa famille en Afrique ; Sa mère théologienne, poursuit ses recherches et réflexions sur la Bible et les textes.

Ils y resteront dix ans – ces dix années formatrices – qui constituent le paradis perdu, pour cet enfant de toute évidence, hyper-sensible et réceptif à la magie naturelle des lieux, de paysages, de lumières, de couleurs, définitivement inscrits en lui au point de déterminer tous ses choix de vie et marquer son œuvre poétique et picturale.
D’abord, il y eut ce papillon aux ailes tachées d’un rouge subtil sur fond bleu- noir, puis des coléoptères pareils à des perles d’un vert intense dissimulés dans les fleurs, enfin un grand Cuivré posé, tel un drapeau léger, immobile- frémissant, sur une rose blanche D’où viennent toutes ces Images, de quel puits ancien et profond pour me ravir par leur beauté d’aube ?

En 1973, il a 10 ans : c’est l’arrachement et le retour douloureux pour l’enfant vers une France inconnue, en Isère d’abord où la beauté froide des montagnes l’accueille, avec des étés dans le Limousin au cœur de paysages d’eau, de fleurs et de couleurs, dans la maison familiale à «Labrousse», paysages qui se substitueront sans les remplacer au paradis perdu africain et qu’il recherchera toute sa vie .On les retrouve dans « L’aile Pourpre » sacralisés dans leurs formes poétiques.

« Le bruissement de la rivière ne s’arrête jamais. Elle ne connaît pas la douleur d’être sans voix Elle chemine dans l’enthousiasme ininterrompu de son chant » (L’Aile pourpre, p.11)

A Paris il fait des études en Histoire de l’Art à l’Ecole du Louvre, puis entre à Sciences Politiques, dont il sortira diplômé en 1986. Il y fonde un journal de l’école où sont publiés ses premiers poèmes, ses articles et dessins. Devenu journaliste indépendant, souhaitant se consacrer à la critique littéraire il travaille pour Témoignage Chrétien, Actualité des religions, et d’autres revues à caractère religieux. En 1994 il est un temps rédacteur en chef adjoint de la revue Valeurs Vertes (écologiste) .
Mais il porte en lui la rupture et l’exil, qu’il transforme en une recherche incessante de la beauté. Ne pouvant s’adapter à la vie mondaine parisienne, il part s’installer à Villars dans le Var et vivre ce qu’il sent au fond de lui même l’ART & LA POESIE, au cœur de l’éternelle lumière…
Il tient de nombreux carnets, se fond dans l’observation de la nature, et progressivement se sent happé par une sorte de sublimation de cette vie où tout vibre autour de lui. Mais cette inter-action mène à sa destruction : la nature lui offre généreusement son inspiration, mais elle l’achève. Il se consume.
Se donnant une très haute mission, dans une quête spirituelle impossible, il est peu à peu envahi par le doute, l’inquiétude de ne pas être à la hauteur. Malade, il met fin à ses jours le 20 septembre 2000. Il avait 37 ans.

*** ***
Les extraits présentés tournent autour des conceptions de Nicolas Dieterlé sur :
 La poésie
 Le poète
 L’écriture

A) La poésie pour Nicolas Dieterlé se décline sur trois plans :

a) Un questionnement sensible et intimiste portant par lui même une réponse insatisfaisante cependant pour l’ auteur.
Qu’est-ce que la poésie? La joie d’aller sur la corde raide tendue entre ciel et terre, entre nature et monde. Un métier essentiellement funambulesque
Qu’est-ce que la poésie ? Une joie très pure, libérée des froides étreintes du souci Le bondissement d’une langue salvatrice
La poésie est cette pluie fraîche qui tombe en murmurant sur le monde, cette Dame Blanche qui vient par les eaux…
Quel est mon lieu ? la poésie Elle est ma maison mon odorante maison Elle est la fleur de l’espace

(extraits de « L’Aile Pourpre », Arfuyen, 2004)
Ce qu’il en reste, légèreté, fraîcheur, quête d’un refuge, de stabilité mais tout est construit en un équilibre fluctuant et fragile et par définition même sur l’insaisissable » la pluie », le parfum « odorant » d’un maison, SA maison

b) une fusion admirative et passionnelle avec la nature environnante; d’une certaine façon, ND devient partie de chaque élément de la nature qu’il évoque.
Pour moi, la montagne, le ciel, l’arbre… ne sont pas que la montagne, le ciel, l’arbre. Ce sont des présences, des hautes présences éblouissantes et je suis leur frère leur compagnon
Couché sur la plage, j’observe les étoiles, leur imprécision heureuse, leur si précieuse géométrie. Foule tintinnabulante
Et moi, encastré dans ma solitude sableuse, forteresse légère entre les herbes folles et les chardons
Rouges sont les barques de la joie
Elles montent sur les vagues de l’air,
L’une après l’autre- on dirait qu’elles dansent
Elles sont chargées de peu de poids
De presque rien, une goutte d’eau
Une perle tremblante
Dont la transparence est sans fond
(extraits de « L’Aile Pourpre », Arfuyen, 2004)

L’écriture est fluide, aérienne et peu à peu il fait sienne la réalité naturelle environnante, la traduit par des images sublimes, mais en se fondant dans cette réalité là il paraît fuir la difficulté quotidienne de vivre.

c) un retour à une quête spirituelle, quasi mystique, une recherche de l’infini, en dehors et en deçà de toute religion, que paradoxalement il recherche et rejette mais qu’il transfigure dans une définition de l’Absolu, beauté et joie confondues. Et que l’on trouve principalement dans ses carnets pour partie regroupés et édités dans « La Pierre et l’Oiseau », Journal spirituel, Labor et Fides, 2003

A partir de 1994 il sauvegarde d’année en année ce qui – de son journal quotidien – a plus particulièrement trait à sa quête spirituelle.
La raison d’être de ce journal : tracer sur l’onde confuse des jours, des semaines, des mois, un sillage qui témoigne d’une traversée Ou encore : comme le petit Poucet dans la forêt obscure, chercher à retrouver le chemin de ma maison ,en suivant les cailloux du dessin de l’écriture
Nous avons tous la nostalgie d’une maison, d’un ordre, d’une unité. Nous la cherchons à travers l’amour, l’art, la religion…
18 juillet 1994 :
Nos pensées, toutes nos pensées, des plus insipides aux plus tourmentées, doivent faire place au ravissement
Il faut perdre la raison
L’émerveillement, pour un instant, nous fait accéder à l’unité

Mais voyez, ci-dessous, les accents rimbaldiens des Illuminations « L’aube » et la beauté du jour qui crée l’unité de l’être naissant :
Alors que je marchais au sortir du bois, j’ai eu la vision du temps, comme un fleuve haut et profond dont la masse immense nous surplombait, moi et tout ce que la rue contenait, mais qui en même temps nous enveloppait et nous charriait d’une manière extraordinairement douce, ample et puissante Le moins que je puisse dire est que j’ai éprouvé un sentiment de sécurité : je n’avais plus de but à poursuivre, plus d’obligations à remplir, j’étais simplement emmené par ce flux au-delà de moi-même

Le poète, chez Nicolas Dieterlé, oscille en permanence entre exaltation dans l’extrême joie ou souffrance, les deux quasi mystiques d’ailleurs. Les images et métaphores utilisées évoquent toujours la douleur de l’arrachement, presque de l’enfantement, car il cherche à dépasser cette « chrysalide » et « naître à lui même » et en lui même.

17 janvier 1994 il écrit :
Dire «oui» à son destin, quel que soit son visage, c’est la condition même de la liberté. Je peux être réduit, sans échappatoire possible, à la solitude, la faim, la soif, l’emprisonnement, je n’en recouvre pas moins ma liberté (et par voie de conséquence ma dignité) à l’instant ou je dis un « oui » sans réserve (La Pierre et l’Oiseau)

Il se voyait comme la pierre faite de terre et d’eau, et comme l’oiseau de chair et d’infini azur. Ecrits dans une belle langue soignée, les textes évoluent au fil du temps et mettent en abyme une mystique en contact direct avec son moi déchiré.
Je suis la fumée légère déroulant ses anneaux dans l’air ténu, dit le poète. Comme l’eau, je virevolte entre les rochers opaques de la peine
Crucifié sur un cristal, tel est le poète

Le poète : une tour de supplice monte en lui, qui, au sommet, se révèle chant. Sa crucifixion est nécessaire à l’éclat de sa voix

Le poète est ce funambule qui comme Icare, se brûle les ailes car il approche de SA vérité, situation émotionnelle insoutenable, situation existentielle impossible à assumer longtemps tant est forte la douleur. Et pourtant que de joie ! que de plaisir à « danser dans l’épaisseur des choses » ! Il va de l’avant avec grâce et même le supplice est source de sublimation Il avance serein et dans une joie mystique sur son chemin de croix. Mais sa passion est mortifère.

B) L’écriture :
comme tout, a été un choix de vie, de méthode, d’attention et de rigueur. Il est pour lui même un censeur impitoyable ; il organise sa vie autour de sa création littéraire et plastique et ne s’autorise que la joie que lui offre sa création et son admiration pour les mots avec lesquels il semble jongler mais qui en même temps lui coûtent tant et tant de brûlures. Pourtant jamais il ne renonce, il suit sa voie avec détermination, même si souvent la confiance lui fait défaut. Il y croit :

Écrire demande une extrême rigueur et je ne suis pas sûr de la posséder
Le langage est séparation, je voudrais qu’il soit communion Est-ce possible? Oui, par le biais de la poésie Celle-ci est une tentative pour amener le langage «ordinaire», prosaïque, séparateur, jusqu‘au degré (d’incandescence) où toutes les différences s’unissent en lui

(Ainsi, écrire ressemble à naître Oui, l’écriture est une incessante naissance)

On ne peut écrire, au sens fort d’écrire, sans que brûle en nous une interrogation si vive qu’elle nous transforme alors même qu’aucune réponse n’est apportée Les mots sur la page sont le produit de cette transformation Ils en sont la cause, car quand je commence à écrire, je ne sais pas ce qui va brûler en moi Je le découvre au fur et à mesure de l’écriture L’interrogation, dans sa vivacité, naît des mots, puis rejaillit sur eux, les façonne, en un double mouvement

Dans la poésie, le « moi » et le « monde », « la matière » et « l’esprit » ne s’opposent plus. Tout au contraire, ils se re-connaissent (car ils possèdent la même identité essentielle) Ils se regardent et s’épousent mutuellement à chaque instant
Avoir une parole poétique, c’est-à-dire qui accueille avec libéralité et joie « toutes les contradictions », c’est sortir du monde avare et souterrain où je me terrais, pour exister enfin, bras ouverts et cœur étendu comme un pont

L’écriture poétique est ma respiration Le- vent- de- la-parole passant en moi ouvre et fait se déployer, comme par miracle, un espace de vie, d’amour, de lucidité Les choses pèsent moins, ont moins d’âpreté ; la lumière a un grain plus fin

Au delà de ce dépassement de soi dans l’écriture, on a l’impression que Nicolas Dieterlé tente de combler de façon désespérée un espace intérieur laissé vide peut-être par ses ruptures successives avec les normes sociales, la religion. Il est au pied d’une montagne de souffrances et de contradictions et évoque souvent le poète maudit, le dernier des romantiques survenu dans un 20è siècle agité et bruyant. On est en plein Rimbaud !

En descendant de la montagne, j’ai vu des asphodèles blanches
Des asphodèles blanches Ce nom merveilleux se gravit comme un échelle

Dans cette dernière image, qui se présente comme une photographie, la forme des fleurs, leur couleur s’allient aux sonorités de leur appellation : « un nom » qui « se gravit comme une échelle » et qui s’élève vers où , conduit où ? Notons au passage le contraste dans l’image entre l’auteur qui descend d’une montagne et la fleur dont le nom se gravit comme une échelle !

Nicolas Dieterlé laisse derrière lui une importante œuvre poétique en partie inexplorée et plus de 500 tableaux, aquarelles, huiles, pastels, crayonnés etc.
Ces quelques extraits ont été tirés des deux premiers volumes de son œuvre poétique en prose. Un troisième volume « Ici pépie le cœur de l’oiseau mouche », doit sortir en début d’année prochaine chez Arfuyen.

Intervention à la Halle Saint Pierre

dimanche 10 avril 2011

Mon approche de la poésie de Nicolas Dieterlé

Intervention de Jean-claude Morera à la Halle Saint Pierre, le dimanche 27 mars 2011

 C’est lors d’une randonnée entre poètes, dans la région parisienne qu’Anne-Paule Kassis m’a fait connaître Nicolas Dieterlé.

J’ai de suite été touché par la grâce particulière de ces textes.

J’étais, je suis en effet, en recherche de complicité dans l’écriture.

Pour moi, ce qui caractérise l’écriture poétique c’est sa force évocatrice. Les mots du poète, sa langue, ses rythmes sont faits pour nous emporter dans sa réalité. Et ce qui fait leur efficacité c’est qu’ils naissent directement de son expérience, de son ressenti.

Cette authenticité en est la première force.

Ainsi Nicolas écrit :

« Si tu écris « oiseau », rien qu’ « oiseau », imagine quel oiseau bariolé se met à respirer en toi, te brûle les poumons »

Là est donc la poésie mais le sentiment de fraternité qui me rattache à Nicolas vient d’encore plus loin.

Il est grand, il est transcendant que la poésie parle ainsi directement à notre ressenti le plus large.

Ce faisant, elle nous ouvre à une dimension de notre conscience dont notre quotidien nous éloigne trop souvent car nous restons enfermés dans les représentations utilitaristes qui nous permettent de nous façonner cette réalité forgée jour après jour, cette construction dite rationnelle qui produit nos techniques, nos institutions.

Pensées toutes faites qui orientent et organisent nos perceptions. Mode légitime sans doute mais réducteur.

N’est-ce pas ce qui nous explose aujourd’hui à la figure à Fukushima ou ailleurs ?

Nicolas est à la recherche de cette pleine efficacité du sentiment et de la transmission.

« Le langage est séparation, je voudrais qu’il soit communion. Est-ce possible ? Oui par le biais de la poésie…» (L’aile pourpre p.59)

Il y parvient par une écriture étincelante et surtout peut-être par la simplicité et la profondeur de son regard.

C’est pour cela que, comme ces romantiques allemands dit-on dont il se sentait proche, il recherchait  avidement le contact avec la nature.

« La ville écrit-il, une irréalité congelée. »

et encore quand il s’installe à Villars en pleine nature :

« S’installer à V. c’est entrer dans un ordre très Saint : celui des montagnes »

Laissons-nous prendre par la pureté véritablement hypnotique de sa vision pour libérer notre regard, de ses préformes inhibitrices et accéder à une  réalité plus pleine et riche.

Ouvert à cette pluridimensionnalité de l’être, produirions-nous encore des guerres ou des Fukushima ?

Mais pour moi, la poésie de Nicolas va encore plus loin.

Tout en nous faisant partager ses visions, ses sentiments, ses états d’âme, avec un simplicité peut-être facilitée par le fait que ces textes édités n’étaient pas clairement destinés à la publication, il nous donne à l’accompagner dans un processus de transformation personnelle..

Nous sommes en effet des êtres en devenir et il n’est pas de fixité dans le ressenti.

Aussi désespéré, malheureux ou au contraire transporté, extasié qu’il soit, qu’il se débatte,  qu’il fuie ou qu’il chemine, le poète nous fait toujours partager un voyage ;

Et voici ce qui nous rend nous tous – poète ou non – si proche de Nicolas.

C’est qu’il se livre à nous comme un homme qui marche simplement et qui, avec toute la radicalité de son  engagement est donné à un quête intérieure inexorable.

Et sa parole nous le dit qui nous entraîne dans un voyage dont nous pouvons questionner les méandres mais pas la vision, la finalité. Parce que c’est notre quête.

Et c’est bien au-delà des représentations formelles qui sont les siennes et qui appartiennent à l’univers culturel d’un christianisme qui n’est pas seulement réformé mais qui s’interroge et qui se réforme – univers qui me touche car, venu d’un autre horizon chrétien je l’ai questionné comme lui.

Il est bien notre frère à nous tous qui, jour après jour nous efforçons d’être, de devenir homme.

Mais voila, Nicolas est parti, il s’est donné la mort le 25 septembre 2000, submergé par l’angoisse.

Nous n’avons pas accès, nous n’aurons jamais accès à la pointe du questionnement qui fut le sien et dont l’acuité douloureuse l’a conduit à ce geste.

Il nous reste ses écrits fulgurants, ses œuvres visionnaires et il faut remercier les éditeurs Labor et Fides, Arfuyen, Gérard Pfister et aujourd’hui la librairie de la Halle Saint Pierre qui nous invite, de nous les rendre accessibles.

Nous savons la qualité de sa recherche.

Par son regard, par son écoute, nous nous nourrissons de son monde éblouissant de beauté.

Nous marchons à ses côtés, pèlerins que nous sommes, privés d’étoile parfois et même de sanctuaire mais jamais de désir.

Il nous reste sa présence stellaire.