Dieu

DIEU dans le journal 1999

 Dieu à portée de ma main. Voici que je touche la figure violacée d’une rose rouge et c’est Dieu que je touche. Ou bien je roule dans l’herbe mauve d’une prairie, alors que le soir descend, et Dieu me chatouille de ses mille extrémités fines. Ou encore je dors dans l’enceinte d’une ramure, perché sur une branche centrale, et c’est Dieu qui me tient légèrement – mais inébranlablement – dans son poing délicat et fort.

mon Dieu, je dois d’abord vouloir ta délivrance hors du sein opaque de mes pensées 

mon Dieu, tu as décidé de me découper comme un fruit afin de ne garder à la fin que le noyau dur, incompressible

un des mots que j’aime le plus : fidélité. J’aime la façon dont il sonne, le té final qui part comme un coup de clairon, le couple jumeau des i dont les chants se relaient et, de manière générale, son allure de cavalier fier et dansant. Fidélité à Dieu, à la poésie, à un amour, à la nature. Comme j’aimerais pouvoir penser de moi, à la fin de ma vie: « j’ai été fidèle »

 mon Dieu, comme cette échelle est dure à gravir. J’ai l’impression d’être toujours sur le même barreau. Et pourtant il faut, n’est-ce pas, il faut que je m’élève

 levant la tête, j’ai crié vers Dieu, en moi, vers le ciel de mon être profond, j’ai crié : mon Dieu, donne-moi la foi entière

 il faut aller vers Dieu, mais de biais, obliquement. Il faut tourner autour de lui en cercles de plus en plus étroits puis se laisser aspirer. C’est ainsi que les papillons tournent autour des lampes. C’est ainsi également que les pèlerins musulmans tournent autour de la Kaaba

 plutôt qu’à tes propres désirs (si faillibles, si équivoques), ouvre-toi au désir de Dieu en toi

 mon Dieu, je n’ai rien, je ne suis rien. Cela, je le sais, et je ne le sais pas. Je suis aveugle et muet, pourtant en moi quelqu’un parle et voit. Mon Dieu, je vous en prie, faites que cette parole et cette lumière s’avivent toujours plus, afin que je retrouve la liberté, l’unité et le diamant de la solitude.

j’ai déchiré mon habit de clarté, celui qui vous rend visible à moi, avec les ronces de la méfiance, et je l’ai jeté dans le fossé, préférant la sombre bure de la malvoyance. Si bien que je ne vous vois plus que par éclairs très espacés, et si lointains que souvent je les distingue mal des lumières personnelles. Mon Dieu, aidez-moi à ôter la robe de suffisance, afin que me soit rendu le bel habit d’humilité

 il y a une contradiction à prier tout en ayant le souci d’une forme littéraire, mais je pense que cette contradiction se résout quand on est suffisamment humble et pur – ou, autrement dit, suffisamment près de Dieu – pour que les mots se posent sur la page spontanément, dans la forme adéquate (comme une source qui n’est pas entravée coule directement dans son lit)

 j’ai médité sur la Croix comme symbole du Soi déchiré et vainqueur

mon Dieu, j’erre depuis trop longtemps entre ciel et terre, perdu dans la béance des choses muettes. Mon amour pour vous n’a pas crû suffisamment, et la terre opaque l’emprisonne encore. Mon Dieu, faites qu’il éclose, faites que fleurisse la fritillaire de la foi

 « Souviens-toi de nous, mon Seigneur, et éclaire-nous pour que nous connaissions et aimions les biens que tu nous a toujours proposés » (St Jean de la Croix)

 mon Dieu, votre ordre est saint, permettez que j’y loge comme la paille dans la meule, l’étincelle dans le feu ou l’astre dans l’orbe immense des galaxies

 eh oui, mon orgueil est profond. Cette volonté dure et dressée, arquée, bandée. Mon Dieu, la rendrez-vous un jour souple comme le vent, capable de se diviser et d’épouser les choses sans se perdre elle-même, fiancée de l’univers ?

 tout en travaillant, j’entends le murmure des arbres qui ne cesse jamais et ainsi je sais par ouï-dire que vous m’accompagnez, mon Dieu. Vous n’êtes jamais absent. Les arbres me le murmurent

 - oh, mon Dieu, pardonnez-moi ! Chaque pas que je fais sur cette terre tranche dans la chair d’un enfant (après le récit d’un rêve où un homme présente la main tranchée d’un enfant)

 l’irrésistible et gracieuse descente vers le fleuve des mouettes et des canards me rappelle la façon dont, parfois, je m’incline vers Toi, mon Dieu, pour survoler de près tes eaux profondes. Mais jamais, à la différence d’eux, je ne me pose sur Toi

 mon Dieu, délivre-moi de l’âpre fruit noir de la haine

 chaque fois que surgit en toi une pensée mauvaise, destructrice, oppose-lui une prière issue de tout ton être rassemblé.

Chaque fois que s’épanouit en toi une joie comme une fleur soudaine, sans racines, aérienne, remercies-en Dieu à genoux

 mon Dieu, toi qui es dans le soleil (et hors du soleil), dans la pluie (et hors de la pluie), dans l’arbre (et hors de l’arbre), indique-moi une façon de parvenir jusqu’à toi, un chemin, afin que je n’écorche plus mon corps dans des tunnels étroits. La plus misérable des pistes fera l’affaire, pourvu que sur ses bords verdoie l’espérance

 certes, tu existes, je le sais bien ; mais pourquoi ne te fais-tu pas entendre ? Pourquoi es-tu si silencieux ? Serait-ce que tes paroles sont trop vastes et profondes pour nos pauvres oreilles ? Peut-être clames-tu un discours clair et sonore, et tes mots tombent dans nos cœurs vides, comme des pierres dans un abîme sans fond, ne réveillant aucun écho

O mon Dieu, ta parole est si basse, je l’entends à peine, je me penche pourtant, je me penche à tomber pour mieux l’écouter

 ta parole est un ruisseau qui glisse infiniment dans l’herbe du temps

 mon Dieu, j’apprendrai la joie qui ne passe pas, celle qui vient de vous. Au plus profond du puits je vois briller son eau

DIEU dans les journaux 1995 et 1996 : quelques fragments parmi d’autres

 Comment pourrais-je avoir la moindre nostalgie, quand Dieu est présent ? Dieu annule toute nostalgie. Bien sûr, je peux avoir la nostalgie de quelqu’un. Mais quand je pense à Dieu (et penser à Dieu, c’est le réaliser, le rendre présent et vivant), cette personne est là. Elle est là, en effet, puisque Dieu est toutes les personnes. Ou la Personne, ça revient au même.

 Je suis particulièrement sensible à la musique, ces derniers temps. La musique parle de Dieu plus directement que n’importe quel autre art.

 L’intelligence, c’est comprendre Dieu. Ce n’est pas la capacité de construire des buildings ou maîtriser les statistiques, comme le croient les idiots, les indifférents.
(7-04-95)

 Dieu est solitude, vide. Mais c’est un vide qui comble. Comment est-ce possible ?
(9-04-95)

Dieu est mon vrai visage. Désormais, je le suivrai partout. Je danserai dans la poussière de ses pas. Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et, sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. »
(10-04-95)

Je dois absolument comprendre ceci : Dieu en moi a besoin que je l’aide. Il me faut, chaque jour, comme un modeste mais ardent ouvrier, enlever la poussière qui tend à recouvrir sa face, obstruant ses narines, sa bouche, ses oreilles. Sinon, c’est certain, il courrait le risque de s’asphyxier. La poussière, ce sont les vaines angoisses à propos de l’avenir, les vaines exaltations, les vaines jalousies, les vains propos…

Il faut rendre mon âme pareille à une grande chambre claire, parfumée et fleurie, pour y recevoir Dieu.
(22-04-95)

Mon Dieu, comme tu es bon de tout vouloir pour moi.

Quand les choses ne vont pas bien, se souvenir que c’est la volonté de Dieu. Et ce n’est pas une vaine expression. C’est la simple, ô combien simple et lumineuse réalité.

Le monde est la musique de Dieu.
(24-04-95)

« L’aurore est belle. Plus belle encore une âme
que le rayon divin rend transparente dans la caverne du corps. »
(texte de Silesius, cité dans le Journal 1995, le 27-04)

Agis dans ton propre champ d’action et laisse faire Dieu pour le reste.

Dieu est mon miroir. Je m’y reflète à l’infini.

Le mysticisme, ce n’est qu’un mot. La réalité, c’est que chacun de nous est plein de Dieu.  C’est la réalité nue, indubitable. Ce que j’exprime là n’est pas une simple idée ou une croyance. C’est une conviction profonde. C’est donc pourquoi je ne suis pas un croyant. Comment pourrais-je croire en une réalité, et, qui plus est, à la réalité dans son essence ? C’est parfaitement antinomique. Je pense que je ne suis pas fait pour croire, mais pour connaître (et si cela paraît présomptueux, tant pis !)         

Je ne doute pas de Dieu, mais de moi, de ma capacité à le recevoir. J’ai toujours peur d’être rendu aveugle à nouveau. Il n’y a rien de pire, rien, que de perdre les yeux de l’âme.

Quand on a vu, ne serait-ce qu’une fois, on ne croit plus, on connaît. Après, il s’agit d’approfondir toujours plus cette connaissance.
(27-04-95)

Tout appartient à Dieu. Donner, c’est donc restituer à Dieu ce qui lui appartient.
(17-5-95)

« Il n’est aucune chose qui ne loue Dieu, mais vous ne comprenez pas sa louange » 
(texte du Coran, cité dans le Journal 1995, le 31-07)


DIEU dans les journaux 1995 et 1996 (suite) 

Dieu, flamme et silex de mon existence.
(5-11-95)

 Un visage nous unifie. Si je dis que le Christ est en moi, qu’il est mon vrai visage, est-ce trop hardi ? Si je dis qu’à chaque instant, mon moi – mon petit moi – tend, dans son aveuglement de pharisien, à crucifier mon vrai visage, est-ce trop hardi ? Oui, c’est ainsi : mon moi profond (que les chrétiens nomment Jésus-Christ) est voué sans cesse, avec une morne répétition, à la crucifixion par le pharisaïsme impudent de mon ego. Ce qu’il y a de plus précieux en moi, le sel de mon être, est foulé aux pieds, torturé, écartelé, par tout ce qu’il y a en moi de dur et d’irréel. Or, par un paradoxe dont on ne sondera jamais toute la profondeur, ce Visage battu, humilié, traîné dans la boue, puis cloué sur la croix des Contradictions – car ce sont mes contradictions non surmontées, non transmuées, qui font saigner mon vrai visage – n’en continue pas moins de projeter une lumière inaltérable, une lumière qui me sauve ! (Journal 14-12-95 : texte publié dans La pierre et l’oiseau, p.59)

 Pour moi, Dieu ne peut pas être un refuge, parce qu’il est perpétuellement à découvrir. Il se promène dans les lointains. Il est comme ce nuage à l’aube qui change constamment de forme, de couleur, de matière, de densité. Il paraît merveilleusement équivoque et pourtant sa réalité est unique. Ainsi, le cherchant, je suis sa trace qui est Sophia. Sophia est sa traîne multicolore, le plumage fabuleux qu’il exhibe à la manière du paon.
(13-01-96)

 Que l’amour soit ! Et l’amour fut.
Il suffit de dire son amour pour qu’il soit. Comme c’est étrange : l’énonciation suffit.
Du coup, on comprend que Dieu ait créé l’univers par le seul pouvoir de son verbe. Car il a voulu dire son amour, l’exprimer. Ce faisant, cet amour a pris forme, s’est incarné, et voilà le monde.
A l’inverse, peut-être suffirait-il de dire « j’aime Dieu » de toutes ses forces, de toute son âme, pour qu’Il apparaisse hors de ses voiles. 
Car si un verbe amoureux a créé le monde, un même verbe, mais dirigé vers Dieu, doit pouvoir le faire retourner à Lui.(Journal 10-05-96 : texte publié dans La pierre et l’oiseau, p.70)

Finalement, entre deux êtres qui s’aiment, la solitude se creuse, s’approfondit, et c’est pourquoi l’amour est si difficile, parce qu’il côtoie des abîmes. On ne sait combien la solitude d’un être est profonde avant d’avoir connu l’amour. De même, l’amour de Dieu, à mesure qu’il croît, fait pénétrer le mystique dans des espaces plus vastes de solitude. Car l’amour est soif toujours renouvelé d’un Autre qui semble reculer dans les lointains à mesure que l’on progresse vers Lui. Cette fuyante évidence – voilà qui fait notre tourment de solitude. Mais pourvu que nous reconnaissions l’impossibilité de notre quête, alors tout nous est remis, et l’amour dévoile sa face de plénitude. L’amour en effet, comme Janus, possède une double face de solitude et de plénitude. Il faut les connaitre toutes deux -ou ne rien connaître.(15-31 août 96)

 Oh, comme je voudrais pouvoir dire (mais le dire profondément, de tout mon être) : « Mon Dieu, je ne veux plus qu’obéir à ta Volonté ». Mais comme il est dur de s’oublier, pour se suspendre tout entier à cette Aile inconcevable
(7-09-96)

 Mon Dieu, quand me feras-tu connaître l’amour le plus haut, celui qui guérit. Comme on peut être assoiffé ! A quel point nous souffrons de cette sécheresse de l’âme (comme si tout en nous était brûlé par un soleil de malédiction), cela ne se peut dire.
 
(9-09-96)

« Errer est le privilège de l’homme, et sa limite. Demeurer est le privilège de la divinité et sa gloire. Il nous faut passer de l’errance à la demeure, il nous faut devenir divins« (Journal, 16 septembre 1996)


 

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