Nuages (1)

Ce soir, la pleine lune a fait son apparition. Elle était traversée par des nuages véloces et squelettiques, qui paraissaient en fuite. La lune elle-même était immuable, quoiqu’un peu fébrile. Je marchais et, levant la tête, je voyais ce spectacle contrasté : lune et nuages en fuite. Cela m’a rasséréné, je ne sais pas pourquoi. La ville autour de moi klaxonnait, clignotait, brillait. Je me suis senti léger et presque satisfait, l’esprit reposant dans l’oubli.
(Journal 13.02.95)

La volonté de l’amour se manifeste dans l’éclat de la folie. L’amour vrai est paré de roses folles, tumescentes. Le tournoiement des nuages au ciel rappelle l’effeuillement d’une grande rose dont les pétales brassées rejoignent peu à peu un amour qui n’a pas de fin.
(Journal 08.09.95)

Le murmure violent et doux des arbres entremêlés m’accompagne pendant que je lis sur le balcon. Il y a aussi, quand je relève la tête, le passage des nuages au ciel, spectacle presque incroyable à force de métamorphoses, de brusques revirements du destin qui les gouverne, et quand je dis « brusques », il s’agit en partie d’une façon de parler, car ces changements se font sans violence, sans à-coups apparents, mais avec une sorte de soudaineté musicale et ample. Comme s’ils obéissaient à quelque loi d’amour secrète, infaillible et légère – pareille, dans sa puissance subtile, à l’eau faisant mouvoir les pales du moulin – qui engendrerait ces immenses tournoiements dociles, ces battements d’ailes incommensurables. Et d’assister à cela, le spectateur se sent peu à peu soumis aux mêmes fluctuations harmonieuses, à la même indécision lente et follement savante, si bien qu’il en oublie les rigides contours de son existence quotidienne et s’installe en esprit dans la maturité vraie – c’est-à-dire changeante – d’un ciel sans limites…
(Journal 24.09.95)

« NUAGES ET DIRIGEABLES SUR LA VILLE »
encre – 64 x 50 cm

Notre vie n’est-elle pas faite à l’instar du nuage ? Ne se modifie-t-elle pas selon des lois qui nous paraissent capricieuses, mais qui sont en réalité d’une logique musicale ? Et ne sommes-nous pas, nous-mêmes, gouvernés par une évidence pareille au vent des hauteurs, et dont la sagesse extraordinaire, l’omniscience, l’infinie clarté du regard, sont le plus souvent méconnues par notre être superficiel, tant son aveuglement est grand ? Mais dans nos profondeurs, nous reconnaissons la rigueur de sa direction, rigueur qui est celle d’un amour sans bornes, infaillible, quoiqu’elle ait toutes les apparences du plus extrême dérèglement. Dans nos profondeurs, nous savons de science sure que cette folie apparente est l’habitacle précieux où réside la sagesse altière, pilote de notre destinée. D’ailleurs pourrions-nous aimer, de tout notre être, une réalité qui n’échappe pas absolument au domaine du raisonnable ? Pourrions-nous suivre corps et âme une réalité mesurée dans ses mouvements, prévoyante, économe ? …
(Journal 28.09.95)

Les mots sont semblables aux nuages. Ils se font et se défont dans l’étendue.
(Journal 09.06.96)

encre – 47 x 38 cm

Aujourd’hui, étendu dans l’herbe du parc voisin, j’ai regardé longtemps le ciel où se dilataient des nuages gris et bleus. C’était comme assister à ma propre naissance, à mon propre déploiement, puis à ma dissipation. Ma conscience ressemblait à tel nuage divagant légèrement, comme pris d’une claire ivresse, dans l’eau si profonde, si énigmatique, du ciel.
(Journal 11.07.99 )

Nuage vainqueur de l’aridité céleste,
te voici posé au bout de la branche claire.
Ta pâleur est forte de mille feux
ton bras lancé loin touche le cœur de l’air
flèche immobile tu transperces l’opaque
et le convertis en œil tendre aigu

Un nuage occupant un incroyable espace est tout à coup né (littéralement, car auparavant il n’y avait rien) en plein ciel. Il était sombre et rude, puis s’est éclairci, s’est fait plus doux. Des oiseaux comme des virgules le traversaient. Il portait sur ses flancs de petits nuages effilochés semblables aux poissons parasites qui accompagnent les requins. Les minutes ont passé et il s’est lentement dirigé vers l’horizon, immuable, porteur d’une grande sagesse. Il ressemblait à une main allongée bénissant le monde, le cours des choses.

encre/aquarelle – 60 x 50 cm

L‘expression « il a la tête dans les nuages » s’applique littéralement à moi. Il ne se passe pas de jour sans que j’observe les métamorphoses de ces grandes bêtes feutrées. Ils sont parfois fins comme des anges et d’autres fois d’une solennité de bourgeois bedonnant. Ou bien ils s’enténèbrent, se font menaçants, couvent des éclairs, et alors ce sont des fauves, des requins, des éléphants furieux.

Nuages : glissement au ciel de métaphores géantes

Mots sont comme nuages. Le ciel est la page. Métamorphose est leur loi. Quand ils arrivent au bas de la page – à une des extrémités du ciel – ils s’évanouissent et renaissent immédiatement à l’extrémité opposée. Infini est leur demeure.

Nuage, vainqueur de l’aridité céleste

Ce nuage d’où perle une sueur de lumière est couché obliquement dans l’air, son corps rendu plus léger par l’extase du soir.

« LE NUAGE »
encre/aquarelle – 60 x 50 cm

Ce nuage, pareil à un long poisson vu en transparence, était si fin, si pur, que la reconnaissance m’envahit. Je m’étais reconnu en lui.

Nuage du soir suspendu tel une perle dans le ciel qui s’ensommeille, tu es le garant de mon être. Pilier tendre, souple colonne, si stable, si permanent, à te regarder je ne sais plus ce que veut dire : faillir.

Tu es un œil qui me regarde sans juger, simplement heureux de me savoir là, en face de toi. Ta profondeur est si grande qu’on pourrait croire que tu n’es que surface. Mais moi je sais ce qu’il en est (car tu m’as initié). Ton amour est si fort qu’il est d’une infinie légèreté. Ta mémoire contient les passés et les avenirs sans nombre, mais de cette richesse rien ne paraît au-dehors, car tu la laisses se jouer en toi sans jamais vouloir la posséder. C’est pourquoi elle ne te marque pas. Tu es sans rides, tu es vierge et antédiluvien.

Nuage du soir, bouche emplie de rosée, tu délivres les mots qui sauvegardent. Poète immobile, je t’écoute et voici que la nuit s’efface.

Baignant dans le bleu très doux du ciel crépusculaire, des nuages en forme d’archipel, les flancs blancs et lisses, flottent gravement et sereinement. On dirait des rêves libérés qui se contentaient jusqu’alors d’errer invisibles, confondus avec les choses, prisonniers de leur incognito, dans le monde trop clair. Puis le soir est venu, indulgent pour leur distraction, leur flottaison, et ils se sont montrés nus, nonchalants, libérés de la pesanteur maniaque du jour (trop souvent le jour est jugement, condamnation, garrot de clarté. Oh, s’il pouvait exister un jour, un seul jour, qui ne vise pas les rêves comme des oiseaux avec les flèches du remords, mais les accueille en lui, tel un père ou une mère très vaste, au ventre doucement tournoyant de lait et d’étoiles)

(Journal 1999)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le commentaires sont fermés.