Couleurs

 

Quel ciel magnifique ! Et ce vert éternel dont les arbres sont pleins désormais, ce vert périssable et définitif, si profond. Il y a une telle profondeur dans les choses. D’où cela vient-il ? Une telle profonde profondeur. Un visage retourné sur son propre abîme. Une énigme qui se déchire en son milieu, et d’où l’amour fuse.

(Journal 1996)

 Ô couleurs, comme je vous aime ! La rouille des nuages s’étale au-dessus de moi. A ma gauche flambe l’or de fleurs printanières et anonymes. En passant près des buissons, je suis effleuré par leurs feuilles d’un vert neuf, brillant comme une monnaie, et c’est comme si le Vert lui-même, dans tout le déploiement de sa divinité, venait au-devant de moi, tel un animal cherchant des caresses. Oui, et voici l’arbre aux fleurs blanches et roses qui glisse, caravelle pleine de richesses, sur l’eau du soir. Je m’approche, je tourne autour de lui, effaré par sa somptuosité. Ses branches sont des canons qui tirent contre le monde des salves de beauté, je voudrais le pacifier, l’apprivoiser, mais ses forces me débordent, m’encerclent, puis me captivent

« Paysage de la joie »
aquarelle – 48 x 38 cm

 Tel une pomme d’or sortant par ses propres forces d’un sombre panier, le soleil se hissait au-dessus de l’horizon noir encore de la suie nocturne

 Au matin, chacun des arbres possède un doux pelage de brume dont il se dépouille progressivement avec la montée du jour. Il apparaît alors, présence ronde et sombre, comme un poing frangé de vapeur. Le soleil venant, il s’affine, des oiseaux passent à travers lui, des chants montent. Ses couleurs, avec leurs nuances musicales, se dévoilent, si bien qu’il ressemble finalement à un luth dont les notes sont des « vert », des « jaune », des « pourpre ».

(Derrière lui, le ciel est passé au bleu. Sur la plaine, le soleil étale un souple vernis de lumière. Les sons respirent ; les herbes sont d’insouciants cavaliers chevauchant un air subtil et plein)

 Le soleil matinal posait sur les arbres un vernis blond et roux, comme un enlumineur ou un peintre d’icônes

Couleur, couleur
Un oeil te regarde
Si tu veux être aimée
Regarde à ton tour cet oeil

 Il y avait un accord si profond entre la couleur rouge-orange de ce mur de briques et le vert tendre du feuillage alentour, que je me suis senti ému comme si j’assistais à un mariage

 J’ai une tendresse particulière pour ces fleurs d’un rouge pur et violent qui poussent sur les remblais. Étoiles mystiques, elles sont les voix qui nous appellent vers on ne sait quoi d’insondable, d’innommé.

 Contre le bleu pâle, voilé, brumeux, presque gris, de l’église à l’horizon se détachent délicatement le rose et le jaune-vert d’arbres en fleurs

Cette mousse verte, brune et jaune que j’ai vue sur le mur très bas bordant un quai de la Seine – alors qu’un soleil éclatant étendait son feuillage doré sur tout le paysage, me protégeant de mes pensées forcenées – était pareille à une face immobile dont les regards pensifs, puisant leurs méditations à des profondeurs insondables, m’accompagnaient et me guidaient dans ma marche lente ??

 Le voile de vierge de la brume se déploie le matin dans les sentiers écartés, sur les bosquets verts et humides, les branches basses des arbres sombres… et les rayons de soleil qui le traversent sont pareils à des bras diaphanes et éphémères

 Ô le bleu de cette soirée d’aujourd’hui, un bleu mystique vraiment, dans lequel j’avais l’impression de me fondre, de m’annihiler… Pendant un instant, ce soir, ma demeure profonde a été cette couleur bleu-de-soirée au sein de laquelle, éternellement, je me suis mû.

technique mixte – 60 x 46 cm

 C’est l’heure bleue où les choses reposent en elle-mêmes, apaisées, dans le grand lac de leurs pensées. La lampe du foyer se reflète dans la vitre du soir. Les murs et les livres aussi ont leur double dans cette vitre, si bien que ma chambre semble se prolonger dans le dehors crépusculaire et en faire partie, comme un nid dans les branches d’un arbre sombre : au-delà du balcon, une chaise est suspendue au dessus du vide ; le cadre d’un dessin se découpe contre l’immeuble d’en face. Ô mirages. L’ombre s’approfondit et la chambre reflétée devient la seule réalité précise au coeur de la nuit indistincte. Je ne vois plus qu’elle, caverne de lumière qui se creuse au sein d’une montagne opaque. Et pourtant ce n’est qu’un reflet, une image que l’extinction des feux domestiques va dissiper irrémédiablement jusqu’à ce que l’aube amène le grand jour plein, entier, profond, irréfutable   

C’est maintenant le soir sur qui règne le gris-bleu. Couleur de funérailles lentes, de fleuve à l’embouchure. Puis il y a, juste avant que le soleil se couche, cette transparence de l’air qui force mon attention

 Les arbres contre le ciel gris-bleu dessinent un visage aigu où je me suis retrouvé. Je n’avais plus de demeure, je vaquais ça et là sans but, quand ils sont apparus devant moi, grands et nus, et m’ont montré leurs traits fraternels. Le gain et la perte n’étaient plus de mise, une tendresse inaltérable liait les choses et les êtres

 La nuit luit comme un métal bleu    

 (Journal 1999)           

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