Archive pour la catégorie ‘Archives blog 2009/2010’

Les mots encore…

dimanche 17 juillet 2011

12.09.2010

La question centrale est celle-ci : qu’est-ce donc qui, en moi, cherche à connaître ? Question admirable et vaine, car elle n’a pas de réponse. Il faut se laisser absorber par elle, dans le silence. N’est-ce pas justement un certain silence qui, en moi, veut se faire connaître ? Mais on pourrait aussi bien dire une voix, une parole, un discours.
J’ai remarqué que les mots mêmes, les simples mots que j’écris ici, sont possédés du désir de connaître. C’est donc qu’ils sont ignorants, qu’ils savent qu’ils sont ignorants, et que ce savoir leur est souffrance. La connaissance seule pourrait les guérir.
Cette guérison serait un couronnement. Les mots sont dans les affres du désir de connaître, du désir d’être couronnés. L’ignorance est solitude. La connaissance est solitude couronnée, rayonnante, indivise, primordiale, essentielle. Mais je n’arriverai à rien avec les mots seuls. Car ils sont trop seuls. Ils gisent dans le sang infâme de leur solitude. Je ne peux compter qu’avec le peu de vie qui leur reste, cette mince flamme qui subsiste en eux. Il me faut voler aux mots l’étincelle résiduelle du désir.

***
Oh, que j’aime les mots puisqu’ils permettent de rendre compte de l’amour, puisqu’ils transmuent tout en amour…

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Est-ce trop hardi si je dis que les mots sont les fleurs pâles échappées d’un printemps insondable en nous ?
Fleurs imparfaites, fleurs de mensonge, vite desséchées, et pourtant fleurs quand même.

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Le dehors rejoint sans cesse le dedans. Comment exprimer cette étrange coïncidence
(ce reflux de l’âme du monde sur l’âme individuelle), sinon par la poésie ?
A vrai dire, il m’arrive d’écrire un peu au hasard. Mais c’est qu’il me semble parfois que seule la culture
du hasard (cette fleur exotique) est véritablement féconde. J’improvise, voilà, j’improvise. Dieu aussi a su improviser.
J’aime qu’il y ait de l’espace entre mes mots. Un éther vivifiant.
J’aime que mes mots soient baignés d’énigme, comme la feuille par le vent, comme le poisson par l’eau.
Comme notre corps vit d’air, notre âme vit de mystère.

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Quel beau mot que ce mot : confiance. Quel est l’ange qui me le souffle ?***
Les mots sont semblables aux nuages. Ils se font et se défont dans l’étendue.Je voudrais une langue adamantine où puisse se refléter tout l’arc-en-ciel des Possibles.

(Journal 1996)

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Les mots

dimanche 17 juillet 2011

21.08.2010

Tous ces mots, tous ces mots recouvrent la Parole.
Il suffirait d’un seul acte pour briser le pullulement trompeur des mots.
Pourquoi le différer ?

Plonge ta main dans l’essaim des mots et mets la main, en dépit des piqûres,
sur le miel de la Parole. En auras-tu le courage ?

Il faut forcer les mots, les acculer dans leurs ultimes retraites,
afin qu’ils dégorgent le miel dont ils sont pleins,
ce miel d’outre-monde produit par des abeilles éblouies.

Ces mots, tous ces mots brillent en moi comme des noyés
phosphorescents. Je suis la mer qui les abrite.
Je suis l’habitacle profond de leurs douleurs embrasées.

Les mots ne m’importent pas tant. En réalité, je pense surtout
à ce dont ils sont l’avant-garde, l’immense armée des virtualités,
et plus encore au lieu que cette armée protège et masque,
l’impossible place-forte, la cité interdite.

Marchant dans l’étendue, nous ralliâmes à nous ce qui était
sans forme, déliquescent, et en fîmes d’éclatants tournois de mots
s’affrontant pour une Belle insaisissable.

(Journal 1996)

La musique encore…

dimanche 17 juillet 2011

09.08.2010

j’ai regardé longtemps les indescriptibles variations de couleurs et de formes que provoquent les passages du vent sur la surface de l’eau. Parfois cette dernière devenait presque blanche, tout en étant piquetée de mille petites rides ; d’autres fois – et le changement était quasi immédiat – elle s’assombrissait comme un gouffre et plus rien ne semblait pouvoir la soulager de son amertume (même les canards ne s’aventuraient pas dans ces eaux-là) ; d’autres fois encore, rien ne la troublait et elle se contentait de refléter le ciel avec ses nuages bleus… Assis sur la berge, je participais à ces changements subtils et cela créait en moi un espace correspondant, où pensées et émotions se modifiaient avec la rigueur et la légèreté d’une musique

des cercles s’arrondissaient sur l’eau, pareils aux rouages d’une horloge fugace

des cercles s’arrondissaient sur l’eau, miracles de l’éphémère. Mes phrases ne sont pas différentes : elles s’étalent, puis s’éteignent

la double clarté songeuse du ciel et de l’eau

la merveilleuse beauté du fleuve étale dans le soir, sa finesse, son équilibre, sa douceur, son rayonnement

il y a une équivalence étrange entre les cercles provoqués à la surface du fleuve par la chute éparse de gouttes d’eau, et les notes de piano lentes, solitaires, graves, rayonnantes, que crée la main amoureuse du musicien Bill Evans au début du morceau que j’écoute actuellement. Dans les deux cas on dirait que quelque chose est donné une fois pour toutes

(Journal 1999)

cette musique…

dimanche 17 juillet 2011

09.08.2010

cette musique est très étrange : elle vous appelle sur un chemin qu’on ne prend jamais, et vous y marchez à pas lents, avec au-devant de vous les grands gongs de l’Inconnu qui résonnent. Que ce chemin est long, raide, sinueux, pierreux. Apparaissent des flûtes serpentines, séductrices, qui s’entrelacent comme une vigne folle au bâton de votre cœur. Un tambour les accompagne ; des claquements de langue, de dents, des voix se glissent entre les sourds battements. Un cheval galope dans l’étendue, crinière levée, dents luisantes. Au tournant de la route, un homme se tient immobile qui vous ressemble à s’y méprendre, mais il n’a pas d’épaisseur, il se traverse comme une fumée
(Journal 1999)

Cette musique…c’est toi

dimanche 17 juillet 2011

29.07.2010

Cette musique qui se lamente ou s’exalte, c’est toi. Ne le vois-tu pas ? Tu n’es pas distinct des choses et des êtres. L’amour consiste en cette analogie parfaite entre toi et l’univers entier dans la déclinaison de ses formes et la variation de ses mouvements.

L’amour jaillit des retrouvailles entre ton moi pur et l’univers qui contient toute pureté.

 Je vais construire ma vie comme un palais musical s’élevant haut dans les airs et dispensant aux nuages ses auditeurs la mélodie subtile de ses arcades et de ses flèches.

(Journal 1993)