C’est le printemps

C’est le printemps. Les premiers bourgeons, les premières fleurs même apparaissent aux branches. Quel miracle…J’ai été happé aujourd’hui, alors que j’étais à la Défense, ce lieu insensé, par la beauté d’un jeune arbre dont la blancheur explosait littéralement au milieu des tours. Toute l’absurdité figée, bétonnée dont j’étais entouré, se volatilisait à sa vue. Ebloui, j’ai tourné lentement autour de lui, me laissant caresser par ses fleurs. Toute la tendresse du monde s’épanchait d’elles et venait à ma rescousse. Car en moi aussi, trop souvent, règne une absurdité mortelle dont les tours d’acier m’emprisonnent, en moi aussi s’éveille un jeune arbre, à la blancheur salvatrice…

Les feuilles naissantes se déplient et se dévoilent au bout des branches. Certaines sont revêtues encore d’une peluche brune qui laisse au bout des doigts quand on la touche une fine poussière que l’on essuie ensuite sur ses vêtements. D’autres sont pareilles à de molles bannières ou des rideaux qui cachent (et exposent en même temps, car si elles n’étaient là, la curiosité serait-elle excitée ?) quelque trésor royal dans des chambres secrètes, étroites, spiralées, que la rosée emplit parfois, comme la mer une grotte de falaise (c’est ainsi que l’imagination opère, multipliant le monde, comme un vaisseau créant sur la surface de l’eau, auparavant lisse et sans surprises, des remous ondoyants, d’une complexité baroque, qui captivent le spectateur)

Les tout premiers bourgeons apparaissent aux branches des arbres, comme une frêle rosée ou comme un essaim timide d’insectes verts et roses

Certains bourgeons sont comme de petits poings qui se hérissent parfois à leurs extrémités – quand ils commencent à s’ouvrir – de feuilles naissantes d’un vert pâle; d’autres ressemblent à des doigts pointés vers le ciel en une indication muette de choses invisibles et puissantes; une dernière sorte fait penser à de petits rideaux que le vent fait osciller et qui portent entre leurs plis des graines brunes et légères

Que  le  printemps  est beau ! Et  quel  miracle  qu’il  ait  enfin  accédé  à  lui-même, hors de la prison hivernale ! Hors de toute prison, le voici, rayonnant et doré, le front ceint d’une couronne de fleurs, et rien, non rien, ne fait chanceler son pas. Peut-on concevoir un tel équilibre, alors qu’autour de lui se brisent encore de grands pans de glace ?

«  L’hiver est mort tout enneigé
On a brûlé les ruches blanches
Dans les jardins et les vergers
Les oiseaux chantent sur les branches
Le printemps clair, l’avril léger  »

note: citation de Guillaume Apollinaire

Journal (extraits)

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